Discussion autour des livres – Octobre 2023

Tous les deux mois, des lectrices (plus rarement des lecteurs) de la bibliothèque des Abeilles se réunissent pour commenter les livres qu’elles ont lus ou simplement venir écouter pour plus tard, peut-être lire des ouvrages dont elles ont entendu parler. Le 17 octobre dernier, il y avait abondance de livres car la dernière discussion avait eu lieu avant l’été !

 

 

Le Roi et l’horloger de Arnaldur Indridasson

L’auteur islandais surtout connu pour ses romans policiers s’exerce au roman historique et c’est une réussite. Au XVIIIème siècle, l’Islande est une colonie danoise. Le Danemark traite très mal les habitants de l’île. Nombreux sont ceux qui émigrent au Danemark, espérant une vie meilleure. C’est le cas de Jon Sivertsen, horloger établi à Copenhague, qui a entendu parler d’une horloge extraordinaire, créée à la Renaissance par Habrecht, horloger suisse, et qui se délabre peu à peu dans les réserves du palais royal. Jon Sivertsen réussit à s’introduire dans ce lieu : il est fasciné par l’horloge malgré son état catastrophique. Une idée lui vient : restaurer cette horloge. L’horloger islandais obtient l’autorisation de se lancer dans cette aventure : il travaille le soir, la nuit, au fond de la réserve et rencontre par hasard le roi Christian VII, éloigné du pouvoir car il est considéré comme fou par son entourage et qui traîne ses insomnies et ses idées noires la nuit dans les couloirs du palais. Une étrange relation va se nouer entre le roi et l’horloger : le roi ordonne à Jon Sivertsen de lui raconter ce qu’est la vie en Islande, de lui expliquer les raisons pour lesquelles il a émigré. Le récit que fait l’horloger au fil des nuits permet à l’auteur de dresser un tableau cruel du comportement des autorités danoises envers les islandais. L’horloger est un personnage fictif, mais le roi, sa famille, les querelles de palais et les méfaits de la colonisation danoise en Islande sont des éléments historiques que l’on peur vérifier. Un livre nouveau dans l’oeuvre d’Arnaldur Indridasson qui se lit avec beaucoup d’intérêt.

L’amour de François Begodeau

Cinquante ans de la vie d’un couple en 98 pages. Des gens modestes qui travaillent, qui connaissent des problèmes ordinaires et vivent des événements également ordinaires. Une vie simple mais que l’auteur ne méprise pas. Livre teinté d’humour mais mélancolique

Le café du Centre de Eric Bohème

Dans une petite ville, non loin de Bourges, arrive un jour un « inconnu » : il séjourne à l’hôtel, prend son petit-déjeuner dans un café, se promène, puis s’installe au Café du Centre, tenu par Henri où il lit la presse pendant des heures. Un jour, il va commencer à poser des questions sur la période 39-45, sur l’occupation, sur les agissements des uns et des autres à cette époque : cela n’est pas du goût d’Henri ni d’autres habitants des lieux. La petite ville est tiraillée entre la modernité et les souvenirs de la guerre et les questions de « l’inconnu » (tel est le surnom qu’on lui a rapidement donné) remettent en cause les relations entre les habitants. C’est une immersion dans une petite ville des années 1970, au moment où s’ouvre le premier supermarché et où s’installe un « diner américain » en face du café d’Henri. Ecriture jugée peu intéressante par la lectrice qui en a parlé.

Les amants de Casablanca de Tahar Ben Jelloun

Un couple solide, Lamia et Nabile, depuis plus de 10 ans. Ils ont deux enfants. Ils font partie de la classe moyenne supérieure qui émerge au Maroc. Mais un jour, Lamia s’éprend de Daniel, « une caricature de gigolo ». Son amant n’est en réalité qu’un « coureur de jupons » qui quitte Lamia assez rapidement. Celle-ci doit retourner auprès de son mari. Dans un style simple et précis, Tahar Ben Jelloun décrit à la fois la ville de Casablanca et la société marocaine qui voudrait s’émanciper mais où le poids de la famille reste étouffant. L’auteur, au travers de ce qui pourrait paraître une romance, traite du statut des femmes, de la religion et du désir. Une écriture lumineuse !

L’heure des femmes de Adèle Bréau

La petite fille de Ménie Grégoire raconte la vie de sa grand-mère, la « star » de RTL pendant de nombreuses années. L’auteure explore la vie des femmes tout au long de cinq décennies qui ont vu beaucoup de changements, de bouleversements. Ménie Grégoire va surtout écouter les femmes et puis les conseiller, leur délivrer quelques clés, aborder des sujets tabous à la radio d’alors, la sexualité, la contraception, le plaisir féminin, la violence contre les femmes, … Ces sujets ne sont pas abordés souvent à cette époque et surtout pas à la radio. Ménie Grégoire ne sera pas toujours « en odeur de sainteté » dans certains milieux et s’attirera beaucoup de critiques de la part des élites « bien-pensantes ». Ce livre, traité comme un roman est une plongée dans une époque à la fois proche et lointaine qui nous aide à prendre conscience du chemin parcouru grâce souvent à quelques battantes comme Ménie Grégoire.

L’enragé de Sorj Chalandon

Belle-Ile en Mer a accueilli une colonie pénitentiaire pour mineurs (12 ans/21 ans) de 1880 à 1977. Les conditions de vie de ces enfants étaient très difficiles, ils étaient souvent maltraités. En août 1934, 56 d’entre eux réussissent à s’évader : mais ils sont sur une île ! Les autorités lancent la chasse à l’enfant : gendarmes, population et touristes essayent de les retrouver. La « chasse » est d’autant plus active que la « capture » d’un enfant est récompensée par une pièce de 20 francs. 55 « délinquants » sont repris, le 56ème ne sera pas retrouvé. Cet événement réel est le point de départ du livre de Sorj Chalandon. Il se glisse dans la peau de l’enfant et imagine l’histoire du fuyard. Sorj Chalandon s’identifie d’autant plus facilement à cet enfant qu’il a lui-même eu une adolescence problématique. Le roman est situé dans une époque difficile : montée du fascisme, guerre civile espagnole… L’auteur dénonce les violences faites à ces enfants, souvent abandonnés par leurs parents, méprisés par la société, auxquels on ne laisse aucune chance.

Crépuscule de Philippe Claudel

« Il ne faut pas avoir peur des sentiments perfides, des machinations diaboliques, des paysages hivernaux, des instincts vulgaires et sales, de la froide indifférence pour se jeter dans les pages de Crépuscule. » Voilà ce qu’a écrit un critique littéraire. Dans une ville sans nom, dans un pays sans nom, dans un empire décadent, l’auteur situe une intrigue policière que va essayer de résoudre un policier ambitieux, intelligent, obsédé sexuel… Il a pour adjoint un personnage un peu « simplet » mais qui a l’âme d’un poète. Une peinture de la société très « moche » où les chrétiens et les musulmans cohabitaient jusqu’à l’assassinat du curé. Un livre pas très positif…

Le Royaume désuni de Jonathan Coe

L’auteur retrace l’évolution d’une famille britannique de la fin de la guerre 39-45 au covid. Les 7 parties du livre scandent 7 temps forts de l’Angleterre moderne. On y découvre l’importance de la famille royale (le couronnement de la reine Elizabeth, le mariage de Charles et Diana, le décès de celle-ci), l’évolution des moeurs et des conditions économiques pendant cette période : de l’importance que peut revêtir la finale de la coupe du monde de football en 1966 ou l’arrivée sur la scène politique de Boris Johnson, les turbulences provoquées par le Brexit et enfin le surgissement du covid avec toutes ses conséquences sanitaires et économiques. Une façon de se replonger dans plus d’un demi-siècle de l’histoire de nos voisins.

Les derniers géants de Ash Davidson

C’est le premier roman de cette jeune américaine : un livre qui a eu beaucoup de succès, aux USA comme en France. Il ne faut pas se laisser effrayer par l’épaisseur du live : 528 pages mas qui se lisent très facilement, tant l’histoire racontée est à la fois émouvante et parfois drôle, très actuelle bien que située à la fin des années 1970, en Californie. Les derniers géants sont les grands séquoïas du nord de la Californie. L’histoire se passe dans une Californie sans doute souvent méconnue et non sur les médiatiques plages de la Californie du Sud. Une famille vit parmi ces forêts de façon très simple : le père, Rich, est bûcheron et risque sa vie tous les jours au sommet des grands arbres ; son épouse Colleen n’a pas de véritable métier mais fait office de sage-femme dans cette communauté éloignée de tout ; Chub leur fils unique va bientôt être scolarisé. Colleen aimerait avoir un second enfant, mais elle a fait de nombreuses fausses couches et son mari ne veut pas qu’elle ait à souffrir une nouvelle perte. Colleen va commencer à se poser des questions : pourquoi tous ces animaux qui meurent dans la forêt ou dans les fermes alentour ? Et ses fausses couches ? Si elles n’étaient pas seulement la faute à « pas de chance » mais avaient un lien avec tous les produits déversés par les gros groupes qui ont obtenu la concession de l’exploitation de la forêt, pour faciliter l’accès aux arbres ? Des activistes écologistes vont aussi s’en mêler et dans la petite famille, le climat va se gâter. Une histoire passionnante qui nous renvoie à une actualité internationale et française (pensons aux combats contre les bassines). Un premier roman qui – espérons-le – sera suivi d’autres oeuvres tout aussi captivantes.

La mort de Vivek Oji de Akwaeke Emezi

L’auteure est nigériane vivant aux USA. Elle se décrit comme « Nigériane, noire, trans et non-binaire ». Avec son livre précédent, Eau douce, elle a été finaliste pour de nombreux prix aux Etats-Unis.
Dans ce livre, une mère parle de la mort de son fils Vivek Oji. Elle a découvert son corps dans leur véranda, au lendemain d’émeutes violentes, au Nigeria. C’est un roman bouleversant dans lequel une mère essaie de comprendre ce qui a pu se passer. Son fils avait 20 ans, un avenir prometteur, mais il ne répondait pas toujours aux attentes de la société nigériane. L’auteure explore les problèmes qui naissent de la religion, les problèmes des personnes transgenres qui ne sont pas acceptées dans une société conservatrice.

Rouge Karma de Jean-Christophe Grangé.

Comme souvent chez cet auteur, une histoire qui se déroule sur fond de violence. Le livre s’ouvre sur les manifestations de mai 68 à Paris : pendant les manifestations, la révolte des étudiants puis des ouvriers, la riposte des policiers, au milieu des gaz lacrymogènes et des pavés, une jeune étudiante est assassinée de façon sauvage. L’ami qui découvre le corps a un frère policier. Il se confie à lui : c’est un policier qui n’a pas de limites, pas d’hésitations, pas de remords, qui use lui-même de drogues. Va commencer alors une longue enquête qui mènera le trio de Paris en Inde : une amie de la victime s’est jointe aux deux frères. L’intrigue va se dérouler de meurtres en fuites, va plonger dans une Inde misérable où vont échouer les jeunes occidentaux attirés par les religions hindouistes, bouddhistes… mais qui souvent plongent dans la drogue sans aucun espoir d’en sortir. C’est souvent la mort qui les attend. L’intrigue finira par se conclure au Vatican ! La mort, la drogue, la violence, le sang sont omniprésents dans ce livre. Ames sensibles s’abstenir !

Ame brisée et Reine de coeur de Akiro Mizubaiashi

Cet auteur japonais enseigne le français à Tokyo et il a la particularité d’écrire directement en français. Ame brisée et Reine de coeur sont les deux premiers livres d’une trilogie dont le fil conducteur est la musique (le troisième ouvrage « Suite inoubliable » est également présent à la bibliothèque : il est paru en 2023 et vient d’entrer dans nos collections en octobre 2023)
1)- L’âme brisée est à la fois celle d’un enfant et celle d’un violon. L’histoire commence à Tokyo en 1938 pendant la guerre sino-japonaise. Les soldats chinois envahissent le centre culturel et brisent les instruments d’un quatuor en pleine répétition avant d’embarquer les musiciens. Le fils de l’un d’eux, Rei, a eu le temps de se cacher dans un placard. L’histoire se poursuit en France en 1950 : Rei s’appelle désormais Jacques. Il est luthier et son épouse Hélène est archetière. Rei a pu emporter le violon détruit de son père et essayera toute sa vie de le restaurer. Le livre baigne dans la musique, la poésie et la culture japonaises. L’auteur reste positif malgré la guerre, malgré Hiroshima et ne s’attarde pas trop sur les fausses notes de l’humanité.
2)- Reine de coeur, second opus de la trilogie, nous raconte une histoire d’amour franco-japonaise fracassée par la seconde guerre mondiale. Jun, japonais, et Anna, française, se rencontrent à Paris en 1937. Jun est altiste, venu se perfectionner à Paris, mais doit repartir au Japon lors de la déclaration de la guerre 39-45. Le récit va se poursuivre à deux générations d’intervalle : la petite fille d’Anna, Mizuné, elle-même altiste, découvre un roman qui semble raconter la vie de ses grands-parents. Ce livre baigne également dans la musique et ses différentes parties semblent s’enchaîner comme les mouvements d’une oeuvre musicale.

Le dernier torero de Camille de Villeneuve

Une description du monde de la tauromachie, mais non un plaidoyer pour la tauromachie. L’histoire d’une « torero » (l’auteure ne féminise pas le métier de son personnage) et son déclin ainsi qu’une étude de son entourage. Chacun accueillera ce roman en fonction de sa vision de la tauromachie. Les critiques dans la presse sont assez positives et relèvent surtout le style de l’auteure.

 

Au cours de cette discussion, ont également été cités des livres qui avaient déjà fait l’objet d’une présentation, lors de précédentes réunions :
– Le guerrier de porcelaine de Mathias Malzieu. Un livre attachant. Voir Discussion du 5 avril 2022
– Ceci n’est pas un fait divers de Eric Besson. un roman « ++ ». Voir Discussion du 4 avril 2023
– Le lac de nulle part de Pete From. Une passionnante épopée dans le grand nord canadien. Voir Discussion du 18 octobre 2022
– Un miracle de Victoria Mas. Un récit curieux qui se passe entre Roscoff et l’le de Batz. Voir Discussion du 7 février 2023

 

 

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