Discussion autour des livres – Avril 2023

Ci-dessous, une présentation des livres commentés par les lectrices présentes lors de la réunion du 4 avril 2023.

 

 

Ceci n’est pas un fait divers de Philippe Besson

« Papa vient de tuer maman » annonce Léa à son frère âgé de 19 ans. Léa a 13 ans. Le père meurtrier s’est enfui, ils sont seuls et anéantis. Ce roman inspiré de faits réels explore les causes et les conséquences de ce que l’on appelle désormais un « féminicide », sous un angle nouveau, car c’est du point de vue des enfants que l’histoire s’écrit. Ces enfants se rendent compte qu’ils ont « volontairement » ignoré des faits qui a posteriori sont évidents. Le grand-frère – dont on ignore le prénom – s’est fait le narrateur de l’histoire qu’il essaie de reconstituer dans son désir d’expliquer l’inexplicable. Le récit est plein de pudeur, sans outrance, avec sensibilité et dans une écriture toujours élégante.

La plus résistante de toutes de Nicole Boucharan

Nicole Boucharan est surtout connue comme journaliste, spécialiste des Etats-Unis. Elle livre ici un roman inspiré par la vie de sa mère.
A l’approche de la guerre 1939/1945, Ginette part travailler à Bordeaux. Elle y rencontre un jeune juif qui a fui Paris. Jean et Ginette tombent profondément amoureux. Jean est arrêté et emprisonné. Ginette entre alors dans la Résistance : elle est toute jeune, la vingtaine : elle va servir de « boîte aux lettres », transportant des courriers sensibles sous des airs de demoiselle naïve. Elle est arrêtée à Marseille, emprisonnée, torturée, mais ne révèlera jamais rien de cette résistance. Le chef de la Gestapo de Marseille est considéré comme le pire des tortionnaires : c’est lui qui la décrira comme « la plus résistante de toutes ». Nicole Boucharan, à qui sa mère s’est confiée très tard, est partie sur ses traces, a visité les lieux témoins de sa vie. Elle écrit dans ce livre un témoignage sur le courage des résistants et un hommage bouleversant à sa mère.

Nous nous aimions de Kéthévane Davrichewy

En 1980, Daredjane se retrouve en Géorgie avec ses deux filles : elles rendent visite à leurs parents. Tous les étés, le même « pélerinage » se reproduit, avec toutes les tracasseries qu’impose le régime soviétique.
Des années plus tard, Daredjane est chez l’une des ses filles Kessané, en Provence. Kessané est devenue une journaliste renommée, mais Daredjane n’est pas à l’aise dans cet univers où elle se sent seule, étrangère, loin de la simplicité dans laquelle elle a élevé ses filles. Que reste-t-il de l’enfance quand on est devenu adulte ? Que s’est-il passé pour que les deux soeurs s’éloignent l’une de l’autre ? Le roman évite les problèmes politiques et les drames qui se déroulent dans leur pays d’origine, même si tout ce passé a influé sur leur vie. Comment une mère et sa fille peuvent-elles retrouver cet amour qui les unissait avant ? Un roman doux-amer sur la vie et ses combats.

Pleine et douce de Camille Froidevaux-Metterie

Ce livre est écrit autour du corps des femmes et de la place qu’occupe ce corps tout au long de leur vie. Douze femmes sont réunies pour préparer « La fête du blanc » qui va célébrer l’arrivée d’un nouveau-né. Un bébé un peu « hors norme » car sa mère voulait un enfant mais pas de mari : elle est allée en Espagne pour bénéficier d’une procréation médicalement assistée, alors interdite en France. Et c’est Eve, cette nouvelle-née qui prend d’abord la parole pour commenter l’agitation qui règne autour d’elle, ses stratégies pour satisfaire ses besoins vitaux. Toutes les femmes de la famille vont tour à tour parler de leur corps. Les générations et les avis se confrontent, l’auteure évite tout manichéisme.
Camille Froidevaux-Metterie est philosophe et professeure de science politique française. Ce livre est son premier roman, écrit dans la continuité de ses recherches philosophiques qui portent sur les transformations de la condition féminine à l’époque contemporaine.

Le silence et la colère de Pierre Lemaître

Ce livre est la suite (très attendue) de « Le grand monde » paru en janvier 2022 (présent à la bibliothèque des Abeilles). La chronique familiale se poursuit : nous sommes au début des années 1950, à Paris où les enfants ont émigré, mais avec quelques sauts à Beyrouth où vivent toujours les parents. Hélène, la fille de la fratrie part faire un reportage dans le petit village de Chevrigny qui va être « noyé » lors de la mise en eau du barrage hydroélectrique. Référence aux barrages de Tignes et Serre-Ponçon construits entre 1950 et 1960 ? Il y a bien sûr les « pour » et les « contre », l’intérêt collectif et l’intérêt particulier… Il y aussi les luttes sociales qui émergent : le féminisme, les femmes journalistes, libres et indépendantes, la société de consommation… Pierre Lemaître évoque de nombreux sujets toujours brûlants aujourd’hui avec peut-être quelques longueurs. Mais quand on a un « certain âge » on retrouve une époque que l’on a connue et au final on passe un moment très agréable avec ce livre.

L’ancien calendrier d’un amour de Andrei Makine

Valdas Bataeff a 15 ans en 1913 et connaît l’existence opulente d’un riche russe avant la révolution. Cette vie va très vite basculer : l’auteur va raconter en moins de 200 pages presque un siècle de l’histoire agitée de l’Europe, la révolution russe, deux guerres mondiales, et un après-guerre qui verra des hommes se déchirer. Valdas vivra tous ces événements en gardant foi en l’homme. il connaîtra des amours : un seul le marquera à jamais, celui qu’il vit à l’automne 1918 avec la belle Taïa. Valdas vivra ces quelques jours qui donnent un sens à une vie et la rendent meilleure.

Série Sam Wyndham de Abir Mukerjee

Abir Mukerjee est un auteur britannique d’origine indienne. La série de 4 livres qu’il a écrits met en scène le capitaine Sam Wyndham, ancien inspecteur de Scotland Yard qui faisait partie de la police impériale, et le sergent Surrender-Not Banerjee. Ces livres se présentent comme des « polars » mais sont surtout l’occasion pour l’auteur de décrire l’Inde avant l’Indépendance
Le premier des 4 livres est « L’attaque du Calcutta-Darjeeling » : une immersion dans l’Inde britannique par le biais de l’enquête du nouveau capitaine Wyndham, nouvellement arrivé à Calcutta, en 1919. En pleine époque des premiers troubles anti empire, des lois Rowlatt, le capitaine fait face à ce qui ressemble à un meurtre terroriste.
Ce premier ouvrage sera suivi de : « Avec la permission de Gandhi », « Les princes de Smbalpur », « Le soleil rouge de l’Assam ».
L’auteur a reçu pour le premier de ces 4 livres le « Historical Dagger Award 2017 » qui récompense le meilleur roman policier historique de l’année.
Nota : ces romans ne sont pas présents à la bibliothèque des Abeilles. Vous pouvez trouver les 3 premiers à la médiathèque des Ursulines, le quatrième est en commande.

Le bureau d’éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant

La jeune française Irène trouve un emploi dans le plus grand centre de documentation sur les nazis, en Allemagne, en 1990. En 2016, elle se voit confier la mission de restituer aux familles des objets trouvés dans les camps, à la fin de la seconde guerre mondiale. Il faut d’abord identifier le propriétaire du médaillon rouillé, du mouchoir,…puis enquêter pour retrouver les descendants des personnes exterminées par les nazis : ces descendants sont disséminés dans le monde entier. Au cours de ses enquêtes, elle se rend compte qu’il y a encore beaucoup d’allemands qui minimisent ce qui s’est passé pendant la période nazie, qu’il y a une rétention des informations. Le livre est un peu difficile à lire en raison de la multiplicité des personnages : c’est néanmoins un roman très touchant.

Les mots nus de Rouda

Rouda est un nouveau venu dans le cercle des écrivains : il était jusqu’à présent connu dans le monde de slam dont il est un des représentants en France. Il publie, avec « Les mots nus » son premier roman. Probablement très autobiographique, ce livre est le récit de la vie d’un « jeune de banlieue ». En 1990, Ben, le narrateur a 14 ans : il vit avec une mère aimante et souriante et un père silencieux qui travaille dans un garage. Il évoque les mots et les maux de ces banlieues qui se sentent rejetées de la société. Ben est un élève brillant, il passe son bac, puis s’installe à Belleville. Il refait le monde avec ses potes, un Corse et un Serbe. Il est amoureux d’Oriane qui est « Médecin du monde ». Ben sent monter en lui une violence qui lui semble nécessaire pour qu’un changement se produise. Portrait des « quartiers » au cours des années 1990/2000, dans une belle écriture, entre l’oral et l’écrit, parfois très poétique.

La sorcière de Limbritch de Suzan Smit

Premier roman de cette auteure britannique, ce livre est basé sur des faits réels qui se sont déroulés aux Pays-Bas au XVIIème siècle. S. Smit donne à la fin de son livre une imposante bibliographie de tous les archives et documents qu’elle a pu consulter pour écrire cet ouvrage.
Le XVIIème siècle est par excellence le siècle de la « Chasse aux sorcières » dans toute l’Europe et jusqu’aux USA puisque « Les sorcières de Salem » seront condamnées à la fin de ce même siècle (il faut préciser qu’il y avait dans ce groupe quelques sorciers, mais la postérité a retenu « les sorcières » !)
L’auteure laisse la parole à Entgen Luijten qui est arrivée dans le village de Limbritch avec sa famille : une mère obsédée par la religion, le péché, son salut, un père qu’elle aime beaucoup mais qui est un « taiseux » et une grand-mère qui lui apprend à connaître la nature, les plantes, ce qu’on peut en faire, les remèdes pour les animaux et les humains, les phases de la lune, les saisons,etc. Entgen se révèle très vite indépendante et « d’esprit libre ». D’abord appréciée par les villageois car elle leur vient en aide, elle va peu à peu devenir le bouc émissaire de ces gens qui vivent dans la pauvreté, mais ne veulent pas perdre le peu qu’ils ont en s’opposant à l’Eglise et au Seigneur. Entgen sera arrêtée pour sorcellerie, jetée au cachot et devra subir un procès où le verdict est connu d’avance : l’accusée est coupable, reste à déterminer son degré de culpabilité et donc la façon dont elle sera torturée et mise à mort. Un hommage à toutes les femmes qui ont subi ce sort inhumain sans doute seulement parce qu’elles étaient des femmes libres.

 

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